« -NON ! »
Tu vois ta mère hurler en se jetant contre ton père, qui la repousse avec violence avant de se diriger vers toi. Tu es recroquevillée dans un coin de la pièce, les restes d'un pot de lait brisé baignants dans le liquide renversé non loin de toi. Et les sanglots de ta mère se joignent bientôt à tes hurlements, sous les insultes de ton père en proie à la fureur la plus intense. C'est pire jour après jour, au fur et à mesure que ce multiplient les accidents bizarres. Accidents dont tu es la cause sans pouvoir te maîtriser. Et les excuses n'y changent rien, ton père refusant de toute manière d'écouter la sorcière que tu es. Bientôt, les coups cessent de pleuvoir et tu dois t'y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à bouger, ta mère venant serrer contre elle ton corps meurtri par la souffrance qui le parcourt. Tu l'entends s'excuser, s'excuser de ne pouvoir te protéger, mais tu te contentes de glisser dans un sommeil sans rêves, bercée par sa voix...

Inspirer. Expirer. Relâcher la corde et regarder la flèche aller frapper la cible en son centre. Sourire, en sachant qu'il ne s'agit que d'une satisfaction passagère. Sourire en sachant que cette satisfaction est malsaine, puisque tu imagines ta flèche aller frapper ton propre père. Tu sais que tu ne devrais avoir de telles pensées mais tu n'y peux rien. Elles sont en toi et tu ne peux t'en séparer. Le veux-tu seulement ?Les années ont passé avec leur lot de changement et d'enfant, tu es devenue une jeune femme indépendante qui ne crains désormais plus son propre père, totalement inconscient du fait que sa vie ne tient plus à un fil. Tu pourrais te débarrasser de lui sans problèmes, il te serait si facile d'employer tes pouvoirs pour mettre fin à sa vie mais tu te contiens. Non pour toi mais pour ta mère. Ta si douce et si fragile mère. Mettre fin aux jours de ton père t'obligerait à fuir et à la laisser seule, ce à quoi tu ne peux t'y résoudre. En rentrant chez toi, tu vas te blottir dans ses bras comme lorsque tu étais une enfant craintive, laissant ta magie agir et effacer les bleus sur son visage. D'elle, tu as pris les mêmes cheveux châtains et les yeux verts, et tu es fière de ressembler à cette femme qui t'est si importante.

Courir. Encore et encore. Ne pas s'arrêter. Continuer à courir, malgré les larmes qui te brouillent la vue, ton coeur qui te semble sur le point d'exploser et tes jambes douloureuses d'avoir tant couru. Celles-ci finissent par te lâcher et tu t'effondres sur le sol de la forêt. Au milieu de l'herbe humide, des racines et des branches cassées. La nuit est tombée depuis longtemps mais tu n'es pas en état de t'en inquiéter, trop secouée par de silencieux sanglots pour faire autre chose que de ramener tes jambes contre ton ventre pour te recroqueviller par terre. La lune haute et pleine dans le ciel t'éclaire, tout comme le sang qui tâche tes mains. Comme folle, tu te mets à hurler, hurler encore et encore jusqu'à en avoir la voix brisée, en essayant de nettoyer le sang qui te souille la peau. Celui de ton père. Désormais tu n'as plus personne. Ta mère a été mise en terre quelques semaines auparavant, peu à peu affaiblie par la maladie qui l'avait saisie l'hiver dernier, et ton père a désormais une flèche plantée dans le coeur. Ta propre flèche. Si seulement il t'avait laissée partir sans chercher à te retenir, tu n'aurais pas retourné ton arc contre lui. Toi qui plus jeune rêvais de ce moment, tu comprends que cela ne t'apporte que souffrance et honte. Tu le haïssais sans doutes, mais il était ton père. Et ta plus grande terreur est désormais d'être rattrapée et condamnée pour ton crime.

Voilà maintenant trois ans que tu t'es rendue coupable de ton acte, trois ans que tu as fuit ton village pour venir t'installer à Camelot. Oh tu n'habites pas dans la cité loin de là, même à l'écart du village qui l'entoure mais cela te convient très bien. Tu es libre, sans contraintes. Tu utilises tes dons magiques le moins souvent possible, ceux-ci étants responsables de ta vie d'avant, préférant compter sur ton arc et tes flèches pour assurer ta subsistance. Aller vendre tes prises au marché t'apporte en effet quelques pièces, même si tu préférerais être employée au château du roi. Être une servante ne te plairais pas beaucoup tout comme les risques encourus d'être découverte comme sorcière mais au moins aurais-tu suffisamment pour t'acheter de quoi manger grâce à ton travail. A moins que l'armée du Roi Uther soit prête à accueillir une femme archer, ce qui te semble pourtant fort improbable.