Son visage était blanc. Ses paupières closes et son air serein ne laissait en rien penser à la souffrance qui l'avait habitée quelques heures plus tôt. Quasiment personne n'était venu. La plupart des habitants la considéraient seulement comme une guérisseuse, une marchande parmi tant d'autres. Et les rares qui connaissaient son secret avaient peur de se faire attraper. Un ami prononça quelques mots, avant que les gardes ne fassent basculer son corps dans la fosse. Le fracas de ses membres fut la dernière chose que j'entendis de ma mère.

Son visage était blanc. D'un blanc nacré qui lui allait si bien au teint, tandis qu'elle distribuait des remèdes avec un sourire compatissant. Au milieu des hommes et des femmes larmoyants, elle rejoignit Gaius, le médecin de la cour.
-La maladie se propage de jour en jour, dit-il. Je crains l'épidémie.
-Oui hélas, soupira ma mère. Et nous ne sommes pas assez pour pouvoir soigner tout le monde.
Elle me prit par l'épaule pour me montrer au médecin.
-J'ai l'intention de mettre Héloïse à contribution. Elle m'assistera.
-Est-ce raisonnable ? répondit Gaius, perplexe. Elle n'a qu'une dizaine d'années.
-Elle a... le même don que moi.
Le don. Mais en est-ce seulement un ? Sous le règne d'Uther, on jugerait plutôt que c'est un fardeau. Pourtant ma mère ne le voyait pas comme ça. Elle épousait la magie, remerciait chacune de ses prouesses et respectait ses mystères. Elle n'en voulait pas au roi de persécuter ses semblables. Je crois qu'elle préférait ne pas se poser de questions, tout simplement. Et rien que pour cela, je l'admirais.
Depuis ma naissance, il n'y avait toujours eu que ma mère et moi. Notre petite échoppe, où elle vendait des remèdes, ses yeux qui se teintaient couleur dorée pour concocter des médicaments particulièrement puissants. Nos petites cueillettes au coucher du soleil, les plantes curatives et les herbes à éviter au cœur d'une forêt encore pleine de secrets. Ma vie était faite de ça. Ni plus, ni moins. Pas de père, pas plus de frères ni de sœurs. Je ne m'en plaignais jamais; comment peut-on regretter ce que l'on a pas connu ?

-Concentre-toi, me disait-elle. Fixe le bol. Sens ton énergie passer à travers chaque cellule de ton corps. Tu dois faire don de la magie à la mixture.
Je contractai chacun de mes muscles, encore et encore.
-Non, disait-elle encore. Détends-toi. Dis-toi que tu fais un cadeau. Tu offres ton pouvoir à quelque chose, fais-le avec plaisir.
Je pris une grande inspiration. J'offre mon pouvoir, j'en fais don. Je penchai inconsciemment mon buste vers l'avant, comme si une force voulait faire sortir mon cœur de ma poitrine. Mes mains chauffaient, mais mon corps était comme apaisé. Le bol que je tenais entre mes doigts n'avait pas bougé, pourtant son contenant brillait désormais d'une lueur irréelle.
-Parfait, souffla ma mère. Le remède est prêt.

Mais l'épidémie se propageait, à Camelot. Nous travaillions jour et nuit pour soigner les habitants, et nous nous épuisions tout autant en évitant les gardes. Nous accordions le succès de notre médicament à une plante rare, ne confiant notre secret qu'à des amis proches comme Gaius. Mais, un matin, ma mère fut incapable de quitter son lit. La fatigue et le stress l'avaient rendue vulnérable : elle avait attrapé la maladie. Je préparai notre remède et lui administrai aussi vite que possible. Son était resta stable, et au lieu de se remettre d'aplomb elle perdit conscience. Il fallait se rendre à l'évidence : c'était inefficace. Je courus jusqu'au laboratoire chercher Gaius.
-Elle doit couver ça depuis plusieurs jours, annonça-t-il, après l'avoir examinée. La maladie en est au stade final.
-Je ne comprends pas, murmurai-je.
Je comprenais très bien, mais je ne pouvais accepter l'idée de ce que je savais déjà.
-La recette pour sauver quelqu'un du stade final est bien plus complexe, avoua le médecin.
Il était inutile d'en dire plus. Je n'avais pas encore eu le temps d'apprendre cette recette là. Seule ma mère la connaissait. Et elle l'emporterait avec elle.
Le soleil se couchait. Elle ouvrit lentement les yeux, incapable de parler. C'était son moment préféré de la journée. Je fis de mon mieux pour la redresser dans son lit, afin qu'elle puisse admirer une dernière fois les reflets rose-orangés du soleil sur les nuages. Déjà aux portes de la mort, elle me regarda avec ses yeux livides. Je doutai qu'elle fut vraiment consciente de ses actes. Le soleil rasa l'horizon et, une fois que le ciel fut entièrement sombre, c'en fut terminé de ma mère.

Son visage était blanc. D'un blanc transparent, la pâleur caractéristique des morts. Ce n'était qu'une victime de plus pour les gardes, qui entassaient les corps des malades dans une fosse commune à longueur de journée. Pour moi, c'était comme si j'étais morte avec elle. J'étais jeune, trop jeune, pour me retrouver orpheline. Qui risquerait sa vie pour élever une sorcière ? Je ne voulais pas atterrir dans une nouvelle famille, ni même reprendre la pharmacie. Je savais comment survivre, et certains éprouvaient encore assez de compassion pour me donner du pain et de l'eau. Je m'enfuis dans la forêt, le seul endroit où je me sentais réellement bien hormis la maison. Je me perchai aussi haut que possible dans un arbre, d'où j'observai le coucher de soleil. Le premier pas d'une vie nouvelle.

Mon visage était blanc. De ce même blanc nacré que j'admirais autrefois chez elle. Le reflet de la rivière me renvoyait une image saisissante. J'avais l'impression de voir le sosie de ma mère. J'avais grandi dans la forêt, construit ma propre maisonnette de fortune, appris à chasser pour vivre, mais mon visage semblait ne pas avoir été marqué par ses épreuves. Elle était en moi tout comme j'étais en elle. Et, tout comme elle faisait, je ne pouvais m'empêcher de soigner les habitants. Je ne désirais pas changer de vie. Celle-ci me convenait parfaitement. Et je sais qu'elle lui aurait convenue, à elle aussi.